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Des programmes de recherche rapprochant science et citoyens ?

A travers l'exemple de la recherche sur la biodiversité, je souhaite montrer de quelle façon les programmes de sciences citoyennes peuvent participer à rapprocher les citoyens de la recherche scientifique et comment ces programmes peuvent servir d'appui pour des expériences innovantes en médiation scientifique. Voir descriptif détaillé

Des programmes de recherche rapprochant science et citoyens ?

A travers l'exemple de la recherche sur la biodiversité, je souhaite montrer de quelle façon les programmes de sciences citoyennes peuvent participer à rapprocher les citoyens de la recherche scientifique et comment ces programmes peuvent servir d'appui pour des expériences innovantes en médiation scientifique. Voir descriptif détaillé

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Le Projet

Une science déconnectée du citoyen

Que connait le citoyen lambda des méthodes et résultats de la recherche scientifique ? Cela se limite souvent à quelques résultats présentés de façon simplifiée dans les médias généralistes, résultats fréquemment choisis plus pour leur côté sensationnel ou comique que pour leur réel intérêt scientifique. D’autre part, les milieux scientifiques sont également trop souvent associés, à tort, aux dérives technologiques mal perçues comme l’utilisation des OGM à des buts lucratifs. Il résulte de tout cela généralement une forte méconnaissance - voire même une défiance – de la recherche scientifique vue comme lointaine et déconnectée des besoins de la société.

Si cette vision négative des milieux scientifiques peut être vue par les chercheurs comme une forte injustice, les réels enjeux sont nettement plus importants. En effet, cette méconnaissance, cette défiance, peut avoir sur le long terme des conséquences dramatiques. Ainsi, quand des résultats scientifiques incitent nos sociétés à modifier leurs orientations de développement, les citoyens sont beaucoup moins à même de « croire » les scientifiques et ainsi à changer leurs comportements.

Cette situation est particulièrement marquante dans le cas des changements climatiques d’origine anthropique où la déconnexion entre citoyens et milieux scientifiques a pour conséquences un très large retard dans la prise en compte de ces problématiques, mais aussi une très mauvaise compréhension de l’importance des enjeux quand ce n’est pas une pure dénégation des résultats scientifiques.

Réconcilier les citoyens avec la science ?

Bien sûr, faire le lien entre les milieux scientifiques et la société est une des principales raison d’être des multiples structures œuvrant dans le domaine de l’éducation aux sciences ou de la médiation scientifique. Si les méthodes classiques de médiation (publications, conférences, expositions …) ont montré leurs intérêts, elles ont également montré leurs limites, que ce soit dans la difficulté de toucher tous les types de publics ou encore dans la difficulté d’inscrire ces actions dans le long terme. Il semble donc important d’inventer de nouvelles façons de toucher le public et d’innover dans l’approche de la médiation scientifique.

Une piste nous vient des « citizen science » des pays anglo-saxon, terme diversement traduit avec quelques nuances soit par « sciences participatives » soit par « sciences citoyennes ». Ces programmes ont pour objectif principal d’impliquer les citoyens directement dans le cœur d’un programme scientifique.
Ces programmes sont actuellement en plein développement en France, notamment dans le champ d’étude de la biodiversité, comme l’atteste la tenue récente de colloques à leurs sujets [1]. Nous chercherons donc à voir ici en quoi ces programmes peuvent avoir des intérêts à la fois en terme scientifique et à la fois en terme d’éducation aux sciences et de sensibilisation à certains enjeux de nos sociétés.

Sciences participatives ? Sciences citoyennes ?

On peut définir les sciences participatives comme des projets ou des programmes de recherche faisant appel à la participation de bénévoles pour réaliser des découvertes scientifiques, vérifier des hypothèses scientifiques, ou encore obtenir des données ou des informations nécessaires à la réussite du projet de recherche.

Dans le champ de la recherche sur la biodiversité, la quasi totalité des programmes s’appliquent ainsi à faire participer des citoyens à la récolte des données brutes. Il peut s’agir par exemple des dates de floraison de plantes ou de chute des feuilles des arbres dans le cadre du programme Phenoclim [2], ou encore d’observations de papillons dans un programme comme l’Observatoire des Papillons de Jardin [3].

La notion de science citoyenne est similaire mais plus délicate à cerner. Elle est parfois réduite à sa plus simple expression et est alors synonyme de sciences participatives. Souvent néanmoins, elle inclus un rôle sociétal plus important du programme de recherche. Mycle Schneider avait ainsi défini la science citoyenne « comme l’effort participatif et combiné de recherche, d’analyse et d’éducation publique qui poursuit strictement, comme principe de base, l’objectif de bien-être collectif des générations présentes et futures d’êtres humains sur la planète et de la Biosphère » [4].
.

Personnellement, ma vision des sciences citoyennes est celle d’un programme de sciences participatives qui en plus de l’objectif de recherche en poursuivrait deux autres (voir également Fig. 1) :

  • un objectif de vulgarisation scientifique pensé et réfléchi en amont du projet, que ce soit concernant la problématique scientifique en amont du programme de recherche, ou que ce soit concernant les avancées et les résultats de celui-ci,
  • un objectif d’utilité sociétale du projet de recherche en essayant de répondre à une question scientifique ayant un intérêt direct pour nos sociétés, notamment pour donner des pistes pour un développement soutenable de celles-ci.
Fig. 1 : schématisation du principe des sciences citoyennes

Fig. 1 : Schématisation du principe des sciences citoyennes

Que l’on parle de sciences participatives ou de sciences citoyennes, une dérive possible peut être une utilisation pure et simple de bénévole pour récolter des données sans aucune contrepartie. Quelques programmes sont ainsi apparus ces dernières années où l’intérêt pour le participant était plus que limité … Ces programmes ne sont à mon avis aucunement des sciences participatives puisque les échanges sont unilatéraux (bénévoles fournissant des données) alors que les notions de sciences participatives et encore plus de sciences citoyennes impliquent à minima une contrepartie de la part des milieux scientifiques, par exemple en terme de formation ou encore de vulgarisation des résultats obtenus.

Des projets de recherche aux possibilités démultipliées

Les intérêts des programmes de sciences participatives ou citoyennes pour la

Fig. 2 : tendances d’évolution des populations d’oiseaux en France selon le programme STOC (source : CRBPO)

recherche scientifique sont surtout de l’ordre des possibilités de démultiplication des capacités de récolte de données. Nous prendrons ici l’exemple du programme STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs [5]) ayant pour objectif de répondre à la question de l’évolution des populations d’oiseaux à travers le temps en France, avec en arrière plan l’objectif d’identifier les causes de régression de certaines populations d’oiseaux, et par la même, de la biodiversité dans son ensemble (voir fig. 2). Ce projet, l’un des plus anciens en France faisant appel à des bénévoles, est mené par le Muséum d’Histoire Naturelle National dans le cadre du programme plus vaste que constitue « Vigie-Nature ».

  • Démultiplication de la quantité de données récoltés

La qualité de ce type de projet de recherche, et la capacité que l’on aura à en tirer des conclusions valables statistiquement parlant, tiens beaucoup à la quantité de données récoltées. Dans le cadre du programme STOC, il s’agit de réaliser des comptages d’oiseaux par « point d’écoute » dans un carré de 2km de côté. Or le protocole de terrain impose de faire ces comptages à des dates très contraintes au cours du printemps. De plus, les conditions météorologiques doivent être bonnes pour réaliser les comptages, ce qui fait qu’une personne seule ne peut réaliser plus de 15 ou 20 carrés d’échantillonnage au cours d’un printemps en y consacrant tout son temps. A moins d’avoir une armée de professionnels embauchés durant le printemps, il est donc inconcevable d’obtenir une bonne quantité de données sans faire appel aux bénévoles. En revanche, les ornithologues amateurs étant de plus en plus nombreux en France, l’appel à ceux-ci a ainsi permis la réalisation depuis 2001 de plus de 2000 carrés d’échantillonnage, permettant ainsi de réaliser des analyses détaillées par exemple selon les milieux ou selon les régions de France.

(2) Démultiplication de l’étendue géographique de l’étude
Afin d’obtenir un indice d’évolution des populations d’oiseaux valable à l’échelle du territoire national, il est nécessaire que les carrés d’échantillonnages soient répartis sur l’ensemble du territoire français. Là aussi, ceci semble très difficile – ou très couteux – à réaliser dans un cadre professionnel. Au contraire, les ornithologues bénévoles étant répartis sur l’ensemble du territoire, et des relais associatifs existant dans toutes les régions de France pour leur mobilisation, il n’est pas difficile d’obtenir une récolte de données sur la quasi totalité des départements français.

(3) Démultiplication de la durée de la récolte de données
Une autre grande difficulté des programmes d’étude de la biodiversité est la lenteur des processus écologiques, ce qui implique la nécessité de programmes de recherche étalés sur plusieurs décennies. Dans le cadre d’un programme de recherche « classique », ceci implique deux difficultés : celle du financement toujours difficile à garantir sur le long terme, et celle de la stabilité de l’équipe de chercheurs afin de ne pas introduire de biais dans la récolte des données du à des différences entre observateurs. Au contraire, dans le cadre d’un projet participatif, l’appel aux bénévoles permet de réduire drastiquement les coûts de récolte des données facilitant ainsi grandement la pérennité financière du programme. De plus, les bénévoles effectuant leurs relevés de terrains à proximité de leur domicile, il n’est pas rare d’avoir des participants continuant leur comptages durant 20 ans ou plus. Ainsi le programme STOC existe depuis maintenant 24 ans, mais certains projets homologues dans les pays anglo-saxons existent depuis 1962 [6], alors que les programmes de recherche dans un cadre plus académique menés sur une aussi longue durée sont rarissimes.

Nous voyons donc que dans cet exemple, l’appel à la participation d’ornithologues amateurs ne permet pas seulement d’améliorer la récolte de données d’un tel programme : elle permet tout simplement son existence ! Les programmes de recherches participatifs seraient ainsi souvent totalement impossible à mener dans le cadre de la recherche scientifique académique – du moins avec les moyens financiers limités généralement disponibles pour celle-ci. Ainsi, certaines questions scientifiques qui restaient sans réponse il y a quelques années dans un cadre académique peuvent aujourd’hui trouver des réponse grâce à ce type de programme.

Une formation des participants à la méthodologie scientifique

Le premier intérêt en terme éducatif des programmes de sciences citoyennes est l’apprentissage qu’ils auront sur la méthodologie d’un programme de recherche et sur la nécessité de la rigueur du suivi du protocole de récolte des données.

En effet, pour reprendre l’exemple précédent du programme STOC, celui-ci possède un protocole détaillé indiquant par exemple les règles à respecter afin d’obtenir des données comparables d’une année sur l’autre, ou encore la nécessité d’un tirage aléatoire des carrés d’échantillonnages afin d’obtenir des résultats exploitables statistiquement parlant.

Cet apprentissage d’un protocole relativement complexe – bien que celui-ci soit souvent allégé dans les programmes participatifs – et la rigueur demandée dans le suivi de celui-ci permet de faire saisir aux participants certaines des difficultés à réaliser un programme de recherche de qualité. Ils peuvent ainsi être sensibilisés, par exemple, à la difficulté d’exploitation des données qui, dans le cadre de l’étude de la biodiversité, sont très souvent « parasitées » par de multiples facteurs extérieurs sans rapport avec la problématique de fond du programme de recherche.

Les implications sociétales de cette formation de citoyens à la méthodologie scientifique me semble importante. En effet, une meilleure perception de la difficulté de la recherche scientifique par les participants ne peut que leur permettre d’accueillir de nouveaux résultats scientifiques avec toute la prudence et le sens critique nécessaire. On voit par exemple souvent dans les médias des titres sensationnels annonçant qu’une nouvelle étude vient remettre en cause tout un champ de la connaissance scientifique, nouvelle prise comme argent comptant par nombre de personnes, ceci participant à une certaine défiance envers les milieux scientifiques. Or généralement, un peu de sens critique et de curiosité suffisent pour se rendre compte que loin de constituer une reculée de la science, cette étude constitue une avancée permettant par exemple de préciser les mécanismes d’un phénomène dans certains cas particuliers.

Un cadre privilégié pour la médiation scientifique

L’autre grand intérêt en terme éducatif des sciences citoyennes est qu’elles crée un cadre très favorable à une diffusion efficace des connaissances scientifiques. En effet, les participants à un programme participatif constituent en quelques sorte un public captif : de par leur implication au cœur d’un programme de recherche, ils sont généralement très motivés pour connaître et comprendre les tenants et les aboutissants de celui-ci.

Fig. 3 : Sciences citoyennes et vulgarisation scientifique

Cette forte motivation est ainsi une excellente occasion de faire passer auprès de ce public un certain nombre de connaissances qui sont soit nécessaires à la participation au programme de recherche, soit qui permettent de mieux cerner les enjeux sociétaux d’un tel programme et les questions scientifiques à l’origine de celui-ci.

De même, en aval du programme de recherche, les participants seront particulièrement demandeurs pour connaître et comprendre les résultats et les conclusions de celui-ci. Ainsi de nombreux programmes de sciences citoyennes tiennent à jour un site internet interactif permettant de suivre les résultats presque en direct, ou encore réalisent des synthèses annuelles ou pluri-annuelles sur les résultats du projet.

Enfin, les échanges réguliers entre les participants et les gestionnaires du programme participatif peuvent souvent être l’occasion d’aborder d’autres questions scientifiques en élargissant ainsi les champs thématiques sur lesquels sensibiliser les participants. C’est notamment le cas par exemple dans le projet Phenoclim où une lettre d’information régulière ou encore des rencontres annuelles de participants sont des occasions pour réaliser de la médiation sur des actualités scientifiques touchant aux changements climatiques ou à l’écologie des milieux de montagne.

Les sciences citoyennes peuvent-elles toucher au delà des participants ?

Un esprit chagrin pourrait penser que cette diffusion de connaissances scientifiques reste confinée à quelques centaines, ou dans les programme les plus importants, quelques dizaines de milliers de participants. Plusieurs réponses peuvent néanmoins être apportées.

Tout d’abord, ces chiffres sont tout à fait honorables comparés à d’autres moyens de médiation scientifiques traditionnels comme les conférences ou les expositions qui réunissent également quelques centaines à quelques dizaines de milliers de visiteurs.

Ensuite le plus grand atout est dans le cadre des sciences citoyennes non pas en terme de quantité, mais en terme de qualité. En effet, c’est une opportunité inégalée pour pouvoir faire de la médiation scientifique ancrée sur le long terme (plusieurs années) et non réalisée de façon ponctuelle comme la simple participation à une conférence. Ceci permet ainsi une appropriation en profondeur de la thématique scientifique ce qui est souvent très difficile dans d’autres contextes.

De plus, l’expérience montre que la sensibilisation effectuée auprès des participants peut souvent faire un effet boule de neige. En effet, ceux-ci voient souvent leur participation à un programme scientifique comme une expérience marquante, enrichissante et originale. Ils sont donc fortement enclins à en parler autour d’eux, et à faire ainsi partager leurs connaissances scientifiques sur le sujet.

Enfin, l’existence même de programmes de sciences citoyennes peut être un moyen ou un prétexte pour réaliser de la sensibilisation sur certaines thématiques. En effet mon expérience de médiateur scientifique et de conférencier montre que le public est souvent très réceptif lorsque l’on présente des études réalisées avec la participation de bénévoles. L’originalité du fonctionnement des programmes de sciences citoyennes, et le fait qu’ils soient basés sur des personnes « comme eux » rend souvent le public plus réceptif, permettant ainsi plus facilement de faire passer des connaissances scientifiques complexes. On dépasse alors ici largement le cadre des seuls participants à ces programmes !

Innover dans la médiation scientifique grâce aux sciences citoyennes ?

Nous avons donc vu que les programmes de sciences citoyennes offraient un cadre nouveau et intéressant pour réaliser des actions de médiation scientifique avec l’avantage de pouvoir inscrire ces actions sur le long terme. J’ai également ouvert une porte sur l’intérêt de l’utilisation des résultats des recherches participatives dans le cadre d’actions plus classiques comme des conférences ou des animations. Néanmoins, l’apparition des sciences citoyennes est encore récente en France : si l’on met de côté de très rares programmes plus anciens (STOC), ce n’est que depuis 2000-2005 que celles-ci se développent réellement dans notre pays. Il reste donc certainement de nombreuses possibilités d’innovations dans l’utilisation des sciences citoyennes dans un cadre d’éducation aux sciences, de médiation scientifique ou encore d’éducation à l’environnement.

Par exemple, un certains nombre d’actions commencent à être menées dans le cadre de séjours (classes de découvertes par exemple). Ceci semble contre-intuitif étant donné que les programmes de sciences citoyennes sont le plus souvent inscrits dans le long terme. Pourtant de nombreuses possibilités s’ouvrent aussi dans le cadre de séjours ponctuels, ce que je développerai dans un prochain article.

Notes:

[1Par exemple, le Colloque Sciences citoyennes et Biodiversité qui a eu lieu à Montpellier les 22 et 23 octobre 2009, et dont les actes sont disponibles sur le site de Tela Botanica

[2voir le programme Phenoclim sur le site du CREA

[3voir l’observatoire des papillons de jardin sur le site de vigie-nature

[4Mycle Schneider, WISE-Paris, De l’expertise indépendante à la science citoyenne, AITEC, mars 2002. Disponible en ligne sur le site de WISE-Paris

[5voir le programme STOC sur le site de vigie-nature

[6Voir le site du « Pan-European Common Bird Monitoring Scheme » : http://www.ebcc.info/pecbm.html

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