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Gestion de chambrée avec des participants turbulents mais sympatiques

Bâtir une relation de confiance avec des adolescents demande parfois beaucoup d'énergie, mais ça peut être une belle expérience. Retour sur expérience et partage de pratiques gagnantes. Voir descriptif détaillé

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Introduction

17 juin 2016

« Des ados ? »

Florian, tout sourire, vient de m’annoncer que j’aurai la charge d’une chambre de huit ados. Je suis dubitatif. Je n’ai jamais bossé avec des ados. Des tous petits, oui, des adultes, oui. Mais des ados. Jamais. C’est à dire, sauf à l’époque où j’étais l’aîné de 5 garçons ages de 13 et 26 ans (joie des familles recomposées. Ceci dit, ça ne compte pas comme un travail).

Dubitatif donc. Mais oui. Mais non. Je décide que ma fierté doit reprendre le dessus. Je peux le faire. Sinon on ne me les aurait pas confiés, ces gamins.

Le Projet

17 juillet 2016 - 1er dimanche.

Ils sont là. « Ma » chambrée. Pour l’instant, un groupe d’inconnus de 12 à 13 ans, avec leurs visages plus ou moins hostiles. Sur huit, il y en a trois qui n’ont pas défait leurs valises. Et il y a au moins autant de lits qui ne sont pas faits.

Au travail !

« Hey, I’m Jean-Guillaume. I’ll be your counsellor for the next two weeks ». Space camp oblige, on communique en shakespearien.
« Do you have a nickname ? »
« Yeah, my friends call me Jigé. You may call me Jigé too ». Djidgé, en anglais. C’est plutôt cool. J’aime bien.

Je leur demande à chacun de faire leur lit et de défaire leurs valises. Fabio, Erwan et Mickaël négocient. Rester ferme. Expliquer. Laisser le temps. S’éclipser pour m’occuper de mon lit et de ma valise. Quand je reviens les lits sont faits. Les valises sont défaites. Le linge est dans les armoires.

La première soirée se passe à expliquer les règles. Elles seront affichées sur le mur. Ils signent tous.

Ca a l’air simple, mais il règne une atmosphère de piquet de grève. Pour défaire les valises, pour faire le lit, pour passer à table, pour signer les règles... La chambrée discute. Le plus souvent, c’est James qui prend le leadership, épaulé de prêt par Fabio, ou Erwan, ou Ange, ou Bogat, ou Mickaël. Hadrian et Carlos, eux, gardent le rang et obtempèrent. Ce sont des enfants sages.

21h30 « Shower time, guys ! ». Première négociation sérieuse. Bogat et James me demandent s’ils peuvent prendre leur douche le lendemain matin. « Yes, you can ».

22h00. « Time to go to bed, guys ». J’éteins la lumière. Comment dire ? Cette première journée m’a déjà épuisé. Je ne me sens pas du tout à la hauteur pour faire face aux négociations constantes. Un peu de repos. Vite.

22h30. Ca fait une demi heure que j’essaie de (re)mettre la chambrée au lit. La lumière s’est rallumée (par magie, semble-t’il). Quelqu’un pousse des cris de chouette. Pas moyen. Le boxon. A 23h00, je suis au bord des larmes. Je me jette sur Nathalie qui passe « Il va falloir que tu apprennes à faire preuve d’autorité. » Elle sourit : « T’as pas l’habitude, hein ? ».

Autorité ? Autorité ? A 23h30, excédé, sous le coup d’une inspiration démoniaque, je hausse la voix « Everybody get up. 10 pushups ! ». Fabio fait semblant de dormir. Presque adorable. Erwan, qui a plus d’aplomb, ose un « What ? Why ? »
« Ten pushups ».

Ferme, inflexible. Et mort de honte. J’ai utilisé une technique digne d’un camp militaire. Je ne suis même pas sûr que ce soit légal. Mais ça fait sourire Nathalie et Florian. Et puis, la chambrée est calme.

1er Lundi

7h10. L’heure du sport du matin. Ils y vont tous. La chambre est vide. Je jette un oeil. L’occasion de découvrir que deux lits tirés au cordeau la veille sont en réalité des leurres. Les draps ne sont pas mis. La housse de couette a juste été posée en couverture. Une valise n’a pas été vidée. Il y a des cartes à jouer dans toutes la chambre et des paquets de chips vides sous les lits.
Désespoir. Vide cérébral. Incompréhension. Sentiment d’impuissance.

Une supposition me vient. Et si certains gamins de 12 ans ne savaient pas faire leur lit ?

Très bien, après le petit-déjeuner, première séance de ménage collective. Accueillie avec le bonheur escompté de la part d’un groupe de garçons de 12 à 13 ans. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur la chambrée.

Ange, qui soupçonne que je suis gay, s’évertue à faire des remarques au sujet de Jean - prénom féminin en anglais si je ne m’abuse (il adoOore s’acheter des Jeans). Les blagues de corps de garde fusent de partout et certaines sont homophobes. Carlos se tient assis sur un lit parfait. Hadrian, qui a mal dormi à cause des bavardages, a l’air franchement perdu. Bogat affiche un manque d’enthousiasme et de joie parfaitement adolescent à peu près à chaque instant. Fabio a développé une vraie thèse qui prouve qu’exiger de faire son lit, c’est du harcèlement. Erwan, inamovible et ouvertement hostile, reste allongé sur son lit chaussures aux pieds. Mickaël a onze jeux de cartes dans son placard. Officiellement, il fait des tours de magie. Mais en réalité, les cartes servent de projectiles. Raison pour laquelle il y a des piques, des coeurs et des trèfles partout dans la chambre. James stocke des bonbons sous son oreiller. Je préfère ne pas me souvenir des placards.

Mais après une demi-heure d’efforts intenses, la chambre est rangée. Bogat a même montré à Erwan comment faire son lit.

Premier forum. « What’s a forum, Jigé ? » It’s time to talk about your feelings. What you like and what you dislike, you know« . »Feelings, Eeeek". L’idée ne leur plaît pas du tout. Le mot feeling les fait rire. Et pourtant, ils ont plein de choses à dire.

D’abord que la première journée était plutôt cool. Ensuite que les pompes à minuit, c’est mauvais pour le sommeil.

Quelque chose se passe pendant ce premier forum. Je crois que la confiance a commencé à se construire à ce moment-là. Pour la chambrée, dorénavant, ce n’est pas le forum, c’est « feeling time ». Ca les fait rire au début, de parler de leurs sentiments. Mais par la suite, ils sont souvent demandeurs. Il y en a toujours au moins un qui a des choses à dire.

1er mardi

A commencer par moi. Au deuxième forum, je demande que les bagues homophobes cessent « But why ? » "Parce que, vous ne savez jamais qui peut les entendre. Vous êtes 180 dans ce camp, il y a forcément des enfants qui sont en train de se débattre avec des questions d’identité sexuelle”. J’hésite, je me lance. Est-ce que c’est une bonne idée ? “Et je suis gay”.

Ils ont l’air ravis. Fabio s’écrit « Did you just confess ?!? ». James est très déçu « But you always get, like, ALL the girls. And these guys, they told me they saw you kissing a girl. » La nouvelle me fait beaucoup rire.

1er mercredi

Erwan me demande « Do you eat cocks, Jigé ? ». Je suis furieux. « But you know, like, the bird » Mais bien sûr. Une petite conversation s’impose avec Erwan, forte tête parmi les fortes têtes. Pour lui rappeler les règles et désapprouver son sens de l’humour. Je m’attendais à une franche engueulade. Pas du tout, nous avons presque une conversation d’adultes. Son visage habituellement fermé s’illumine à mesure que nous échageons (j’ai subtilement commencé en lui rappelant ses points forts). Je viens de sceller un pacte avec Erwan pour tout le séjour, ce dont je ne suis pas peu fier.

1er jeudi
Bogat m’a expliqué plusieurs fois que je n’étais ni son père ni sa mère. A peu près à chaque fois que je lui demande de faire son lit ou de se laver les dents, en fait. Aujourd’hui, je le surprends à expliquer à Olivia que je suis « plutôt cool ». Juste avant de se coucher, ce soir, Bogat décide de me confier le salut secret de la chambre. J’apprends à daber. Yo ! (Et ça, c’est vraiment très très cool).

1er vendredi
C’est la cata. Ange a des idées très précises sur la mode masculine. Manifestement, Hadrian refuse d’admettre le bien-fondé de ces idées. Soucieux d’illustrer ses théories, ce midi, un peu avant le forum, Ange a pris l’initiative de mettre du gel dans les cheveux de Hadrian. Je demande une ènième fois à Ange de laisser Hadrian tranquille. Deux heures plus tard, dans un mail directif et concis, la mère d’Hadrian demande à Florian de changer son fils de chambre.

Florian a l’air furieux. Des mots comme harcèlement sont lancés. Toute la chambrée est convoquée chez le directeur pour une explication.
C’est la pire journée du séjour. Je ne veux pas qu’Hadrian se sente mal. Je ne veux pas non plus que le reste de la chambrée se traîne une réputation de caïds mercenaires jusqu’à la fin du camp. Ce serait un échec retentissant.

Tirer au clair toute l’histoire. Lors des premières conversations que nous avons eu, Hadrian m’a dit qu’il n’est pas à l’aise dans le groupe. Hadrian a une grande maturité pour son âge. Les bonbons sous l’oreiller, les jurons et les cris sont incompréhensibles pour lui. Pourtant, mercredi dernier, lorsque nous avons parlé tous les deux de sa place dans la chambrée, il avait l’air plus paisible.

Action. D’abord, demander à Hadrian ce qu’il veut. Il ne savait pas que sa mère souhaitait le changer de chambre. Mais il trouve que c’est une bonne idée. Le courant ne passe définitivement pas avec le reste de la chambrée. Et tous ses amis sont dans une autre chambre.

En l’absence de Florian, retenu à une réunion, je cours chez Nathalie. Nous convenons qu’Hadrian passe dans le bureau du directeur et donne son point de vue avant le reste de la chambre. Et aussi qu’il faut en discuter de la situation avec le reste de la chambrée avant la réunion.

Entre temps, le repas a commencé. Lorsque j’arrive à table, Ange me dit que la chambrée s’est excusée auprès de Hadrian pour la mauvaise blague et pour la mésentente. Je suis tellement touché que je dois me réfugier aux toilettes pour fondre en larmes.

Après le repas, nous passons une heure à discuter. Ange, l’homme au gel, se sent coupable. J’essaie de leur expliquer que tout le monde n’a pas les mêmes besoins, qu’il y a des blagues qu’on peut faire à un très bon ami mais pas à quelqu’un qu’on connaît moins bien ou qui se sent mal à l’aise. Ca nous permet d’aller plus sereinement à la rencontre avec Florian (le directeur), Mariella et Petra (les responsables ESA).

Hadrian explique son point de vue. « Nous n’avons pas d’atomes crochus ».

Au tour de la chambrée. Carlos, qui a toujours été le plus proche d’Hadrian et qui n’est en rien concerné, a tenu à être là par solidarité. Tout le groupe fait preuve de maturité et de lucidité.

Hadrian est allé dans une chambre qu’il avait choisie. Il était bien plus souriant jusqu’à la fin du séjour.

Quant au reste du groupe, cette soirée de cauchemar nous a un peu plus soudés.

Par la suite, nous n’avons plus quitté notre rythme de croisière.

Dès que la chambrée se lève, ils vont tous au sport. Dépenser de l’énergie. S’amuser. Dépenser de l’énergie. prendre l’air, dépenser de l’énergie. Et surtout, dépenser de l’énergie.

Entre anims, on remarqué qu’ils sont plus calmes en présence des filles, alors on organise un maximum d’activités mixtes.

Le nombre de bêtises quotidiennes diminue (peut-être qu’ils sont fatigués ?).

Bien sûr, le 2e dimanche …, James m’a annoncé fièrement qu’ils avaient construit un bunker en matelas pour se protéger de l’orage.

Le 2e lundi, affolement général : “Djidgé, wasps ! Waaaaaasps ! Les guêpes attaquent ! Djidgé, do something !”. Il m’a fallu chasser un malheureux insecte de 6 mm de long perdu dans la chambre (d’accord, d’accord, j’ai écrasé une guêpe chétive et j’ai perdu des points de karma. Mais je suis devenu un héros.).

Le 2e mardi, ils ont joué au foot dans la chambre. Avec une barquette de confiture.

Le 2e mercredi, ils ont caché la couverture-doudou de Mickaël dans un placard.

MAIS… à 22h00, tous les jours, ils sont (presque) toujours au lit. Ce qui est considéré comme un modèle de ponctualité. Il n’y a plus de cartes à jouer dans toute la chambre. Ils nettoient la table du repas eux-mêmes.

Presque tous les soirs, j’ai droit à une question personnelle « Do you have a boy friend ? When was your first relationship ? ». Ou à des questions plus déstabilisantes mais très sérieuses : « How old is it normal to start wanking ? » Heuuuu, je n’en ai pas la plus petite idée.

2e et dernier jeudi : je dois quitter la chambre après le forum pour aller checker mes mails. Bogat me dit que je vais leur manquer.

2e vendredi : c’est l’avant-dernier jour. Et c’est la soirée dansante.
Avec Elodie, ma complice du camp, nous nous tenons discrètement contre le mur en bons chaperons. Bon, ok, on fait papier peint. La chambrée vient me chercher pour qu’on danse tous ensemble.
Hadrian, de son côté, est tout sourire. Il a une petite copine et il est vraiment ravi.

2e samedi matin : Ho mon Dieu, c’est le départ ! Ca passe vite quinze jours. Et beaucoup trop lentement en même temps. Erwan et Ange et James et Fabio et Bogat et aussi Olivia et Matthia et Gulia et Noémie et les autres m’entourent d’un seul coup. J’ai droit à un gros câlin collectif. Ca ressemble un peu à une mêlée de rugby, mais c’est beaucoup plus émouvant. Et ça m’aide à affronter sans trop de difficultés ces amas de bagages, les bus et les adieux.

Je crois que je n’aurai plus jamais de préjugés au sujet des ados.

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